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Titel
Napoléon III.


Autor(en)
Milza, Pierre
Erschienen
Paris 2004: Editions Perrin
Anzahl Seiten
706 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Né du Deux Décembre, disparu honteusement dans la Débâcle de 1870, honni par les démocrates, victime des anathèmes (souvent outranciers, comme le reconnaissait Zola lui-même) du géant Hugo, le Second Empire a, aujourd’hui encore, mauvaise presse. Dans la lignée d’autres grands travaux, dès les années 50 (Dansette, Plessis, Girard, Agulhon...), Pierre Milza, républicain déclaré, fait un sort à cette «légende noire» véhiculée pendant des décennies par une historiographie résolument hostile. Son livre est donc une semi-réhabilitation, non apologétique cependant.

L’ouvrage n’est pas une «biographie-prétexte». L’auteur a le souci de brosser un portrait détaillé et nuancé de Napoléon III, personnage complexe: fils très aimant de la reine Hortense; viveur érotomane dépensier et cynique; comploteur et putschiste par vocation; rêveur «socialiste utopique», sincèrement désireux, semblet-il, d’améliorer une condition ouvrière dont se souciait fort peu la République bourgeoise des possédants (à ce propos Milza souligne la différence de traitement dans la mémoire collective entre les 400 morts – de trop – du coup d’Etat et les milliers de victimes des répressions impitoyables de 1848 et 1871!); promoteur d’une industrialisation volontariste, d’une politique économique libre-échangiste audacieuse et d’un urbanisme résolument moderniste; écrivain et historien estimable (cf. son Histoire de Jules César), qui avait du style mais surtout des idées; enfin vieillard précoce pitoyable acculé à la déchéance physique par sa maladie vésicale. Ombre de l’Aigle devenu ombre de lui-même... Quant à son entourage, il rassemblait une collection à la fois savoureuse et inquiétante d’aventuriers, de têtes brûlées, de roués, de viveurs endettés et grands consommateurs de demi-mondaines, ce qui n’exclut pas, chez certains d’entre eux, comme Morny, une intelligence hors pair. Napoléon III n’était pas l’«idiot» malléable que voyait en lui Adolphe Thiers, pas plus que l’impératrice Eugénie n’était la dinde stupide et bigote que l’on a dit, selon un topos d’où le machisme du temps n’était pas absent. Milza rend justice à cette souveraine assez moderne, sportive, grande lectrice et amie personnelle de Mérimée, sensible aux questions sociales (certes dans une optique catholique paternaliste), intéressée par le sort des autres femmes et notamment par leur instruction.

Mais au-delà de l’homme et de son entourage, c’est bien sûr la vaste fresque du Second Empire peinte par Milza qui intéresse le lecteur au premier chef. L’usage que nous faisons du langage pictural n’est pas anodin, à propos d’un ouvrage qui accorde une place importante aux arts. De facture classique, le Napoléon III de Milza – écrit dans une langue souvent élégante – mêle avec bonheur le récit et l’analyse, toujours subtile et nuancée. On regrettera cependant, dans ce gros ouvrage très complet et fouillé, l’absence de quelques vigoureuses synthèses (hormis la conclusion) où l’essentiel eût gagné à être mieux mis en évidence. Signalons des pages particulièrement intéressantes sur l’exil dans une Angleterre en voie d’industrialisation rapide et le «bain de modernité» qu’il constitua pour le futur empereur; sur la question de la légitimité dans les relations conflictuelles entre l’Assemblée et le prince-président entre 1849 et 1851; sur l’effort éducatif – qui annonce celui de la IIIe République – sous l’égide du ministre Victor Duruy, un homo novus résolument laïc; sur les rapports complexes de Louis-Napoléon avec l’unité italienne; sur les travaux d’assainissement et de bonification de terres françaises insalubres; enfin sur l’échec paradoxal de la politique sociale de l’Empire et la «crue révolutionnaire» socialiste et républicaine de 1867–1870. L’auteur passe assez rapidement (et ce choix nous paraît raisonnable) sur les avatars d’une politique étrangère souvent maladroite, parfois désastreuse – l’aventure mexicaine, les «pourboires» demandés aux Hohenzollern et l’effondrement final – qui a été étudiée avant lui de façon exhaustive.

Eminent spécialiste du fascisme italien, P. Milza s’intéresse bien sûr – et on l’attendait de lui – aux liens entre le bonapartisme et les dictatures populistes césariennes du XXe siècle. S’il relève une série de convergences (clientèle politique hétéroclite; utilisation de nervis pour intimider les adversaires politiques; soutien de la bourgeoisie effrayée par les «rouges» et aval du coup d’Etat par les élites traditionnelles; usage abusif du plébiscite; propagande véhiculée par le corps des fonctionnaires, etc.), Milza témoigne cependant de beaucoup de prudence et souligne les différences autant que les analogies: absence de charisme du chef de l’Etat (Napoléon III n’est pas Mussolini!); évolution non vers une radicalisation totalitaire mais vers une quasi-monarchie parlementaire. Il montre que le césarisme bonapartiste a certes engendré l’ultra-nationalisme pré-fasciste né à la fin du XIXe siècle, mais aussi certains aspects du gaullisme «rassembleur»; enfin, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le régime a familiarisé les Français avec le vote au suffrage universel, dont Friedrich Engels, en 1895 encore, était persuadé qu’il jouerait forcément en faveur de la gauche. Qui imaginait alors que des dictatures antisocialistes pussent sortir des urnes?... On s’étonnera cependant, à propos de cette problématique bonapartisme-fascisme, que Milza omette de relever l’absence totale d’antisémitisme officiel sous le Second Empire: en témoignent les carrières des frères Pereire ou d’un Jacques Offenbach. Robert O. Paxton, dans son magistral ouvrage Le fascisme en action récemment paru, récuse lui aussi, à propos du Second Empire, le vocable «fascisme», qui lui apparaît comme «un élargissement injustifiable de la définition» (p. 78).

Sans apporter d’éléments fondamentalement nouveaux sur une période de l’histoire de France qui a été particulièrement bien étudiée (l’abondante bibliographie qui figure en fin de volume l’atteste), le Napoléon III de Pierre Milza constitue une synthèse sinon «définitive», du moins extrêmement documentée, claire dans l’énoncé et prudente dans les jugements portés sur un régime fort controversé.

Citation:
Pierre Jeanneret: compte rendu de: Pierre Milza: Napoléon III. Paris, Perrin, 2004. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr. 2, 2005, S. 248-250.

Redaktion
Veröffentlicht am
29.11.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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